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Eau et femmes, entre symbolique et valeurs féminines

Résumé :

Eau et femme, un symbole de développement, un créneau en faveur du développement durable et un discours que la scène internationale s’est réappropriée en matière de gestion de cette ressource vitale. De la conférence de Dublin en 1992 à Beijing en 1995 ou le 4ème Forum Mondial de l’Eau de Mexico en 2006 ; les femmes sont considérées comme des gestionnaires indispensables au secteur de l’eau. En quoi l’eau et la femme sont-elles alors liées à des croyances et symboliques plus profondes qui se transmettent à travers les pratiques et au fil du temps. Pure ou purificatrice pour le religieux, rare pour l’homme du désert, imprévue et chérie par le marin ou encore, mystérieuse et impalpable pour le poète ; l’eau est un caractère féminin bien trempé… Derrière la symbolique féminine aquatique, ce sont les valeurs attribuées à la femme qui coulent avec l’eau. En tant que valeur féminine, l’eau devient l’imaginaire emblématique de la vie où l’image de la femme apparaît comme un lien dans le temps et entre les lieux. Cet article présente les grandes attributions symboliques données à l’eau et leurs liens avec des figures féminines clés en dressant des valeurs attachées à la femme dans l’imaginaire collectif.


Article

« Il n’y a pas de différence entre l’eau et la matière première même : la Mère »1 .

Le ton est donné par Paul Claudel pour qui l’eau est le lieu du premier amour : la Mère. Image recherchée de la figure maternelle, de la jeune fille dissoute, de la nymphe séduisante, de la sirène dangereuse ou de la mer impétueuse ; les portraits dressés de l’eau par les Hommes sont synonymes de valeurs. Pure ou purificatrice pour le religieux, rare pour l’homme du désert, imprévue et chérie par le marin ou encore, mystérieuse et impalpable pour le poète, l’eau est un caractère féminin bien trempé…


Derrière la symbolique féminine aquatique, ce sont les valeurs attribuées à la femme qui coulent avec l’eau. Immuable, indolore, incolore et sans saveur, l’eau est un « ligamen », une bande selon l’étymologie latine qui veut dire, lier deux entités. Fonction essentielle du liquide transparent, l’eau, « reliante » selon Gaston Bachelard, crée du lien entre deux dimensions : le temps et l’espace. Liaisons heureuses et dangereuses entre les Hommes, l’eau exerce un transfert symbolique essentiel à travers les générations et entre les cultures à une époque donnée. Un lien où les images de la femme renvoient à la « vie » transmise par l’eau et la femme.


Dans le contexte actuel de menaces sur la ressource et de promotion du rôle de la femme de sa gestion, s’interroger sur eau et femme à travers une approche symbolique pourrait révéler en quoi notre rapport à l’eau est encore teinté des croyances et pratiques anciennes. Le discours eau et femme est en effet un symbole de développement, un créneau en faveur du développement durable et un discours que la scène internationale s’est réappropriée en matière de gestion de l’eau.


De la conférence de Dublin en 1992 à Beijing en 1995 ou le 4ème Forum Mondial de l’Eau de Mexico en 2006 ; les femmes sont considérées comme des gestionnaires indispensables au secteur de l’eau. C’est à travers les multiples figures de l’eau en général, et féminines plus particulièrement, que se croisent symboliques de l’eau et représentations de l’image de la femme. Derrière les personnages clés et récurrents retrouvés au fil des croyances, l’entrée eau et femme est révélatrice de l’image et du rôle de la femme dans nos sociétés actuelles dont il faut chercher « les liens symboliques qu’elle (l’eau) crée sur l’axe du temps »2. L’enjeu est alors de comprendre en quoi notre imaginaire révèle des valeurs actuelles sur l’eau et les femmes.


La mer ambivalente, femme inconnue et lait maternel

« Tout comme l’eau pure représente le Bien, l’eau impure représente le Mal »3 .

Bien ou mal, salvatrice ou mortelle, abondante ou rare, attendue ou redoutée ; l’eau est porteuse de représentations autant contradictoires que réversibles. Duale, l’eau associe valeurs opposées tant dans la symbolique religieuse que dans l’imaginaire issu des mythes et mythologies existants que la mer nourrit. Lieu épars et inépuisable, aussi changeante que magnifique, la Mer est une figure religieuse essentielle. Antithétique, dans Le Coran, la Mer profonde est associée aux ténèbres, à l’obscurité et au caractère inconnu et redoutable de l’Océan 4 . Encore, dans l’épisode de Jésus marchant sur les eaux, elle devient rassurante dès le retour du fils de Dieu. La mer est la personnification symbolique des attributs contradictoires d’une eau bienveillante et malveillante. Manifestation de la Providence au Moyen-Age, elle détient une force qui dresse les limites des Hommes comme « les ondes de tempêtes (le Sturmflut, unissant forces du vent et forces de la mer), dont l’Occident garde des souvenirs angoissants et des traces durables »5. Cette force est synonyme de violence, « un des premiers schèmes de la colère universelle »6 . Figure du Diable et étendue apaisante, ses créatures marines représentent Mal et force séduisante.


Les sirènes par exemple, créatures de la mythologie grecque sont représentées en mi-femme, mi oiseau ; leur chant envoûtant attire les marins amenant leurs navires à se fracasser sur les récifs. Dans l’Antiquité, la sirène est un être fabuleux, à tête et torse de femme et à queue de poisson. Elle passait pour attirer, par la douceur de son chant, les navigateurs sur les écueils. Devenue plus douce avec La Petite Sirène de Hans Christian Andersen, elle devient un sujet poétique aimé des poètes comme dans la Loreley . 7


Les attributs de la sirène caractérisent ceux de la Mer ambivalente, celle qui nous attire et pourtant redoutée. Cette personnification de la femme est résumée par Victor Hugo où « la mer est une femme imprévisible dont la nature profonde reste secrète pour les humains. Douce et superbe, elle mérite les madrigaux que lui adressent les bourgeois. Gaie, aucun élément ne peut afficher une apparence aussi joyeuse ; lorsqu’elle soupire, pendant que le récif chante, elle est l’image même de la sérénité. Mais c’est aussi un être cruel et hypocrite, un être qui cache son impatience derrière un calme apparent » . 8


Dans cette même ambivalence, la Mer est une figure bienfaisante proche de la Mère recherchée pour son réconfort et sa protection dans le panthéon des Dieux grecs, telle à Téthys, la mère de la tétée, des fleuves et de la Mer, qui évoque la substance liquide du lait maternel. Liquide blanc et laiteux, « la mer est pour tous les hommes l’un des plus grands, des plus constants symboles maternels »9.

La poésie de la Mer fascine, elle suscite et révèle les rêveries les plus profondes qui rattachent à la mère, en tant que « chant à deux portées dont la plus haute, la plus superficielle, n’est pas la plus enchanteresse. C’est le chant profond… qui a, de tout temps, attiré les hommes vers la mer »10. Une caractéristique que Gaston Bachelard retrouve chez Jules Michelet où « la poésie de la mer est donc une rêverie qui vit dans une zone profonde. La mer est maternelle, l’eau est un lait prodigieux »11 et chez Saint-John Perse évoquant « les eaux calmes du lait »12 .


Retrouver dans l’eau de la mer, la mère, pose une question inconsciente où c’est toute l’histoire de la civilisation qui se joue ; elle est « la mer aimée, la "vraie", "l’éternelle", celle qui est investie au plan affectif et qui est le lieu de toutes les projections émotives (…) C’est la mer-nourricière, la mer tempête, la mer-purificatrice, la mer-paysage ; une mer irrationnelle, à la fois mystique et mythique, un espace initiatique, hors de la civilisation et qui rappelle aux hommes leurs propres limites » 13.


Eau amère : Judith, visible et invisible

« L’eau est métaphore de l’idéal de La Torah qui se répand. »14 Élément concrétisant la Loi de Dieu, l’eau est un élément structurant de la société religieuse et profane. À l’origine de la naissance et de l’organisation de la vie en société, l’eau est un élément qui ordonne l’habitat, la ville et le quotidien de l’Homme. Dans les trois textes saints, l’eau incarne la parole et la loi divines en tant que l’eau est la preuve du pouvoir de Dieu. Dans Le Coran, l’eau est l’attribut même d’Allah dont le trône est sur l’eau15 introduisant une « comparaison entre l’eau et la parole dictée au prophète »16. Aujourd’hui encore, la Charia désigne la loi de l’eau, une nouvelle « preuve d’une codification fort ancienne chez les Arabes »17.


Dans La Bible, l’eau est tout autant la manifestation de la parole de Dieu, elle coule comme les écrits de l’Ancien Testament18 ou comme la « source de Coré »19 dans l’épisode de Samson. Surtout, dans la religion juive, c’est l’épisode des tablettes de la Loi qui associe l’eau au droit où les « 613 tables de la Loi, que Dieu envoie à Moïse, sont qualifiées d’averses bénéfiques, apportant salut matériel et spirituel. Elle fait de l’eau une véritable métaphore de la Loi, autrement dit de ce qui est à l’origine même du monothéisme »20 .


Rapporté à la femme, Judith illustre les valeurs portées par la femme relatives à droit et eau ; ces dernières oscillent entre visible et invisible. Rappelons son histoire. La ville de Béthulie est encerclée par Holopherne, le Général des armées de Nabuchodonosor et roi des Assyriens qui ont exterminé toutes les nations qu’ils ont pu traverser. Les habitants et les chefs de la ville, désemparés, sont prêts à capituler à cause du manque d’eau 21. Apprenant cette décision, Judith, veuve pieuse décide d’agir et devient l’instrument actif de la loi divine22 .


Choix incompréhensible d’une femme qui entre dans le panthéon des figures héroïques juives, Judith est une « héroïne dans la lignée d’autres personnages comme Yaël ou David, dont la grandeur tient en une formule lapidaire de St Paul : « ce qui est faible dans le monde Dieu l’a choisi pour confondre le fort » (1 Co 1, 27) » 23 . Judith, (étymologiquement « la juive ») est la loi sollicitée, celle qui rétablit et établit l’Idéal de la loi (ici, La Torah) qui se répand. Elle est la figure principale parmi d’autres femmes liées à l’eau.


Spectres invisibles des trois livres saints, les figures liquides et féminines sont telles à la fiancée du Cantique des Cantiques, « cette femme abstraite des Proverbes se retrouve en fait, tout au long de la Bible, depuis Eve jusqu’à Esther. Les hommes agissent à visage découvert, mais derrière leurs actes se cachent des femmes intervenant en secret, à l’intérieur, sous un voile. C’est là la caractéristique essentielle des femmes de la Bible : elles sont d’une importance décisive, elles dominent, elles déterminent la face des événements sans être vraiment des personnages publics » 24 . Myriam, Axa, la Samaritaine dans La Bible, Yaël ou Esther dans La Torah ou encore, Agar et Myriam dans Le Coran, ont des destins liés à l’eau. Elles accomplissent la loi de Dieu dans le texte et sur la sphère publique, visibles et invisibles.


Rappelons enfin le pouvoir de l’eau de rendre visible. Dans La Torah et La Bible, « l’offrande de la dénonciation » dite l’eau amère, permet le respect de la Loi contre la femme adultère. L’eau agit comme un sérum de vérité au service de Dieu, elle devient un vecteur du pouvoir qui célèbre ou punit la femme ; « le rite des "eaux amères" opéré dans la Bible pour circonvenir la femme adultère, système d’ordalie qui a eu de nombreux développements dans la juridiction chrétienne médiévale »25.


Sang et eau : Ophélie, la pureté recherchée

« Que serait l’idée de pureté sans l’image d’une eau limpide et claire, sans ce beau pléonasme qui nous parle d’une eau pure ? »26

L’eau a une fonction primordiale pour l’Homme : elle purifie. Le mythe de la pureté est celui d’une substance chimique pure, sans souillure, qui lave et restitue ce qui a été perdu. La purification est ce lien de l’Homme vers Dieu qui le régénère en quittant le profane. Plus qu’un pouvoir distinctif du sacré et du profane, l’eau a le pouvoir de restaurer le lien perdu par la souillure ou le pêché. Ces pratiques se retrouvent dans la religion juive et musulmane.


Le Miqvé, par exemple, est un bain rituel juif utilisé pour les ablutions ; « s’y immerger revient à se purifier, à se rendre disponible à la spiritualité, après un temps de souillure » 27. Pour les femmes, le Miqvé est un moment essentiel, « l’immersion permet une transformation de l’être ou de l’âme, une disposition à la spiritualité (…) le passage par le Miqvé circonscrit le temps de la sexualité et donc les possibilités de se générer dans le cadre de la pureté familiale »28 . Elle permet à la femme de réintégrer la société juive qu’elle avait dû quitter, impure à cause de son contact avec le sang.


Les vertus de pureté de l’eau guident de nombreuses pratiques et croyances au-delà du monde religieux. L’eau détient un pouvoir, une vertu qui relie l’Homme au Supérieur. Jules Gritti rappelle ainsi que « la force de l’eau des fontaines et des sources est d’avoir été de tout temps considérée comme miraculeuse, c’est-à-dire chargée de vertus curatives et capable de lutter contre la maladie et la mort » 29. Le caractère du rite prend toute sa valeur, celui de l’espoir d’un renouveau, un référent de sacré dans le profane encore perceptible aujourd’hui dans les centres de thalassothérapie, des espaces où l’on vient prendre les eaux autour d’une « notion fondamentale : celle de pureté »30 .


La pureté donne son caractère moral à l’eau comme à la jeune fille dont Ophélie est le symbole. Fiancée malheureuse, figure rêvée de William Shakespeare, elle doit rester pure. « Si tu te maries, je te donnerai pour dot cette malédiction ; sois aussi chaste que la glace, aussi pure que la neige, tu n'échapperas pas à la calomnie. »31 Ces deux comparaisons avec l’état solide de l’eau (la neige et la glace) rappellent la virginité de la jeune fille. Cette vertu est essentielle aux yeux des hommes de la pièce comme lui rappelle son frère, Laërte. Elle ne peut appartenir à un homme où elle serait perdue.


Figure apparentée au mythe de l’onde, le personnage d’Ophélie est nourri de multiples associations symboliques. Nymphe blanche aux attraits séducteurs, elle est le lieu même de l’expression de l’eau, un mythe du voyage où l’image féminine est recherchée, une figure de la fraîcheur et de la pureté. Elle est celle qui succède à la mère et que le poète projette comme une substance voluptueuse et chantante ; « dans la vie de tout homme, apparaît la seconde femme : l’amante ou l’épouse. La seconde femme va aussi être projetée sur la nature. À côté de la mère-paysage prendra place la femme paysage »32


Substance idéalisée, Ophélie est la substance liquide par excellence. Elle incarne la pureté par la blancheur de leur peau *et sa virginité symbolisée par l’hymen intact qui n’a pas encore coulé et qui, une fois déchiré, concrétise le désir de l’homme qui disparaît avec lui. En perdant son sang virginal, elle perdrait ses attributs évocateurs qui font d’Ophélie un être voué à la mort ; « la douce Ophélie, la sacrifiée d’Hamlet, est alors une figure vouée à flotter dans un long souvenir d’innocente morte. Tout au long de sa pièce, William Shakespeare ne cesse de souligner le lien entre femme, la mort… Et l’eau »33.


Cette relation entre femme, eau et mort est au cœur de l’inspiration poétique et du mythe d’Ophélie. Le sang, la perte de l’hymen, sépare la jeune femme dissoute, jamais atteinte, et la femme, objet répulsif et mal compris avec ses pertes de sang cycliques et malfaisantes. Ophélie en mourrant dans l’eau et sans avoir perdu le sang de l’hymen est la vierge qui garantit la pureté de l’eau et sans danger pour l’Homme. Ophélie garantit à l’eau, la pureté recherchée.


DEPUIS LE JARDIN D’EDEN : LA TRANSMISSION D’EVE


« Héritier : de l’eau, bain de vie au sens multiple, lui est transmise. »34

Autour de l’eau sont transmises des valeurs essentielles, des qualités qui doivent guider et caractériser la femme. Cette transmission est symbolisée par des lieux dans les textes saints notamment, le puits. Rebecca, Séphora et Rachel rencontrent leur destin près d’un puits ou encore, Agar et Maryam sont sauvées près d’un puits. Autour de ce point d’eau, deux valeurs essentielles sont transmises. La première est celle de la rencontre menant au mariage et la seconde est celle de la charité, un acte à généraliser à celui du don de l’eau.


Dans Le Coran, l’épisode d’Agar prend une signification supplémentaire. Le fils qu’elle porte est Ismaël, le père de la lignée du prophète Mahomet ; « le murmure de l’eau « zam zam » donne son nom au premier puits sacré de l’Islam : le Zam Zam. Il est la preuve que Dieu a entendu Ismaël et lui a envoyé son eau divine » 35 . Pour les musulmans, la prière d’Agar est celle du père du prophète qui la sauve quand il n’est qu’un fœtus dans le ventre de sa mère. Les faits du puits rappellent la répartition des tâches qui est sous-entendue par les trois textes saints. Dans la Genèse, « ce sont les femmes qui vont puiser l’eau » 36.


Tâche féminine, « les points d’eau peuvent aussi marquer la distance entre l’univers féminin du lavage (fontaine-lavoir) ou de l’élevage (fontaine-abreuvoir), et l’univers masculin du travail de la terre »37. Le puits est associé à la femme plus particulièrement dans La Bible et La Torah, « qui a l’époque pastorale, concerne surtout la femme, symbolise la sociabilité, les rencontres, les promesses de mariage (…) l’eau du puits est une eau matérielle à laquelle s’attachent des vertus familiales de transmission liées implicitement aux valeurs d’hospitalité »38 .


Ces lieux symboliques de la transmission des valeurs ont une attribution de lien(s) entre les générations c’est-à-dire, une pratique redondante dans le temps qui permet aux valeurs de rester. L’eau, par sa fonction reliante, sert de boussole, de point de repère invariable pour la continuité de la culture et des pratiques. Hors du champ religieux, des lieux d’eau deviennent vecteurs de transmission en tant que « l’eau a toujours mis en jeu l’ensemble de la collectivité »39. Le Hammam, par exemple, devenu le lieu des ablutions et assimilé à la Mosquée, est un espace privilégié dans la vie d’un musulman. Pour les femmes, il « est le lieu par excellence de la soirée pour les hommes comme pour les femmes davantage encore que le café, espace presque exclusif des hommes »40


Une fonction reliante représentée par Eve, la vivante (Hawwa(h) en hébreu) qui est, selon la tradition, le premier personnage féminin de La Torah et La Bible. Seulement mentionnée comme l’épouse d’Adam dans Le Coran, Eve est la mère de l’Humanité et celle qui apporte le changement en croquant le fruit de l’arbre de la connaissance. Cet acte condamne l’homme et la femme à quitter le jardin d’Eden . 41 . Au-delà du débat sur sa responsabilité, c’est la symbolique du personnage d’Eve et de son acte qui font d’elle un personnage de transition. En tant que donatrice de vie, l’acte d’Eve prend une signification symbolique à travers le jardin d’Eden. Ce jardin paradisiaque représente, dans l’imaginaire collectif, le lieu de résidence parfait dans les trois religions.


Dans La Torah, un fleuve à quatre bras coule dans le jardin d’Eden où se baigne Adam pour retrouver son lien originel avec Dieu. Le jardin d’Eden symbolise le retour à la femme vierge et pure, celle qui n’a pas succombé à la tentation et qui relie au Supérieur. Eve, avant d’être tentée par le serpent, est bien une vierge pure. Dans cette lignée, elle incarne la femme idéale que Rebecca, Rachel ou Sephora représentent. Le puits ou le fleuve de l’Eden devient le lieu de l’héritage des valeurs que la femme protège. Eve, mère de tous les vivants s’est rachetée en donnant naissance, « peut également représenter la vie car elle s'affranchit des règles édictées pour engendrer de nouvelles possibilités et d'autres voies favorisant l'autonomie du sujet » 42. Elle symbolise la transition et la continuité.


L’eau de la vie : la Mère, matrice originelle

« L'eau est, par excellence, le principe fécondant, le germe de toute chose. »43

En termes symboliques, l’eau est à l’origine de la vie. Matrice de vie et principe fécondant, l’eau est le liquide de l’union, de la séparation des sexes et de la genèse de l’être. Une matrice originelle où la fécondité maternelle est principe conducteur de la force symbolique. Dans les trois textes, l’eau est l’élément qui permet la création des deux sexes et de la vie animale et végétale 44. Dans la Genèse, il est mentionné que « l’esprit de Dieu planait sur les eaux ». Pour Denise Masson, « cet esprit est, d’après la traduction littérale de l’hébreu, le souffle vivificateur, l’énergie primordiale qui donne à l’eau sa fécondité »45. L’esprit qui plane sur les eaux et la séparation de celles-ci est en réalité, la séparation des principes mâle et femelle instaurant la différence entre sexes et le rôle de chacun46.


L’eau, divisée en deux sexes, est la seule qui puisse donner la vie, « lorsque la terre est seulement arrosée par ses propres eaux, eaux féminines (Pirqé R. Eliézer 5), il ne s’agit pas d’une pluie de bénédiction comme dans le cas de l’union avec les eaux masculines »47 ; une symbolique de vie retrouvée dans nombre de civilisations. Dans la mythologie grecque, l’eau féconde est double à travers l’image de Thétys et Okéanos. Ce couple représente l’alliance pour la vie et rappelant que l’eau est masculine et féminine. Ensemble, l’eau masculine et féminine est issue d’« un processus ambigu et d'une cosmogonie à l'autre, ce principe aqueux et fécondant peut être féminin ou masculin : féminine, l'eau maternelle et laiteuse qu'évoque Gaston Bachelard en citant Edgar Poe et Saint-John Perse ; masculin, le sperme du dragon chinois ou malais incarné par l'Empereur, qui féconde rituellement la terre. Basée sur ce même principe de virilité aqueuse, la tradition aussi bien auvergnate que germanique ou mélanésienne, recommande aux jeunes filles de ne pas s'approcher des fontaines une fois la nuit tombée, de crainte d'être fécondées par le principe viril de l'eau »48 .


Si cette séparation de l’eau met en avant la matrice originelle où se mêlent les deux principes sexuels, prédomine le principe de la mère où « tout liquide est une eau ; ensuite toute eau est un lait » 49. Ce lait résume la vertu de l’eau comme la substance liquide de la Mère « un ultralait, le lait de la mère des mères. Paul Claudel brutalise en quelque sorte les métaphores pour aller d’une manière fougueuse, immédiate, à l’essence. « Vos sources ne sont point des sources. L’élément même ! La matière première ! C’est la mère, je dis, qu’il me faut ! »50 . Ce principe nutritif de l’eau a une double fonction, il projette et rappelle un élément concret. L’imaginaire collectif ou personnel est donc plus fertile, réel et récurrent quand il provient d’une expérience vécue. Ainsi, pour Gaston Bachelard, « l’imaginaire ne trouve pas ses racines profondes et nourricières dans les images ; il a d’abord besoin d’une présence plus prochaine, plus enveloppante, plus matérielle » 51 . L’eau à travers la symbolique du lait devient un lien inconscient vers un lieu substantiel, matérialisé, vecteur de représentations fortement ancrées dans la logique de transmission sociale.


« Et il n’y a pas de différence entre l’eau et la matière première même : la Mère » 52 ; un symbole de vie et de fécondité dont le liquide amniotique est le premier vecteur. Liquide qui protège le bébé des chocs et où grandit l’enfant à naître, le liquide amniotique est le lieu initial de toute vie. Il confère à la femme et à l’eau ses vertus de fécondité et vie. Il pose un lien eau – féminin traditionnel où l’eau est, en effet, « perçue comme un élément de fertilité : il donne la vie, tout comme la femme. Cette association pourrait venir du fait que la femme donne la vie grâce à l'eau - le liquide amniotique contenu dans l'utérus. L'eau est fluide, changeante, elle guérit et porte la vie - toutes ces caractéristiques étant traditionnellement féminines »53 .


Cette substance liquide devient le lieu subjectivé du retour à l’état premier qui correspond au premier amour. Dans le cadre de l’imagination et de la poésie, cette symbolique de l’eau est la fécondité des souvenirs, du retour à l’enfance, une « symbiose symbolique entre l’eau et l’enfance qui n’est plus à démontrer, tant la valeur d’eau primordiale du liquide amniotique est connue » 54. Derrière l’eau de la vie, symbolique forte, c’est la matrice originelle, celle qui porte le liquide amniotique qui s’offre à l’imaginaire et à l’inconscient. Ici, la mère devient le symbole de la fécondité et le liquide, une force objectivée qui fait de l’eau, un symbole de vie par excellence.


Conclusion


« L’affinité des femmes avec l’eau est évidente sur le plan symbolique profond. »55

De cette affinité émergent des valeurs et des caractéristiques féminines qui guident les représentations sur la femme. L’eau, élément culturel fort, élément de vie qui structure l’organisation des sociétés est un « lien consubstantiel entre la culture et la société, la maîtrise de l’eau, quelle que soit la société considérée, suscite des structures mentales et sociales »56 . Derrière des figures clé, les qualités d’une femme pure, droite et maternelle ou au contraire, inconnue, mystérieuse et dangereuse se dressent comme des valeurs qui définissent la femme. De ces images, le caractère de fécondité et de matrice originelle impose l’eau comme un liquide – féminin - essentiel à la vie.


L’eau, liquide vitale, liquide de vie se confond avec la femme, la mère, la mer, le lait, la pureté ou la loi, la transmission, l’action, la conservation. Les valeurs de l’eau féminine place un lien profond et inconscient entre eau et femme retrouvé dans les perceptions liées à l’hygiène et souvent citées comme expliquant le lien particulier entre eau et femme aujourd’hui. Ce lien se concrétise dans la gestion de l’eau par la femme qui s’occupe autant de la corvée d’eau que de garantir la qualité de l’eau donnée à ses enfants. Les liens symboliques et imaginaires de l’eau replacent la fonction nourricière du rôle de la femme dans le cadre de celui d’un rôle profondément lié à la vie et sa transmission.


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