Vivre son chamanisme de nos jours
Le chamanisme est un mot d’origine russe, du toungouse šaman, dont la prononciation et l’évolution de l’orthographe ont donné naissance à shamanism et « chamanisme ». Dans cette langue, šaman signifie prêtre ou médecin ou encore, le magicien faisant référence à une personne détenant un certain nombre de capacités au service de la communauté. Il possède des connaissances et des compétences spécifiques notamment en lien avec la magie. Cette personnalité occupe une position dans la communauté en tant que connaisseur des plantes, mais aussi de rituels accompagnant les processus de guérison. Pour beaucoup, ce mot est différent de la racine sanskrit, श्रमण (śramaṇá) qui désigne les ascètes, des êtres tournés vers la perfection.
Le mot šaman partage une racine avec sramana ou samana, mot pâli, langue indo-aryenne voisine du sanskrit… Si cette association longtemps débattue a été rejetée par la communauté linguistique, la liaison interroge. Dans son article, « Le problème du chamanisme » (1946), Mircea Eliade rappelle ce rapprochement qui semble troublant étant donné les similitudes entre les mots issus du mana,
« Le problème des influences extérieures qui ont pu éventuellement s’exercer sur le chamanisme ne peut se réduire – comme on l’a quel quefois pensé – à celui de l’origine du mot “chaman”. (On se rappellera que ce vocable nous vient, à travers le russe, du toungouse šaman, le terme correspondant étant, dans les autres langues nord-asiatiques, le jakoute ojun, l’altaïque кam, дam, le turco-tatar kam, le mongol kami.) La dérivation du toungouse šaman à partir du pâli šamana (< skr. šramaná) – par l’intermédiaire du chinois ša-men (simple transcription du mot pâli) – , acceptée par la majorité des orientalistes du xixe siècle, a été néanmoins mise en doute d’assez bonne heure (en 1842 déjà par W. Schott, en 1846 par Dordji Banzarov) et repoussée par J. Németh en 1914 et par B. Laufer en 1917»
Au delà des enjeux d'étymologie, la vibration du mot universel se retrouve dans de nombreuses langues et traditions qui relient une personne, une énergie supérieure indéfinie et indéfinissable et des pratiques de guérison :
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Le Mana : l’esprit (hindouisme) : le Māna est une unité de mesure du corps et, par extension, un « onzième organe » intégré au karma et au Jñāna permettant de créer ce que l’on désire. Le Māna est une force d’at traction et de manifestation. Le Mana-u se rapporte à la conception ou esprit de Dieu, il est associé aux Lois du Manu.
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Le Mana : « pouvoir surnaturel que possédaient autrefois en Polynésie surtout les grands chefs et Tahu’a, mais parfois des objets inanimés » (Dictionnaire illustré de la Polynésie).
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Le Manna : la manne, la protection divine. Le « Manna [la manne est] donné par Dieu pour nourrir les Hébreux dans le désert. » Mana : la « main » en racine latine pose le rôle de la main dans ce pouvoir du Mana.
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Ma’na : « bi-l-ma’nā » qui renvoie à la transmission du « sens ». , Amāna est le « dépôt » qui désigne une lourde responsabilité pour les Hommes afin de faire le bien et d'éviter de faire le mal.
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Emana en basque renvoie à la notion de don, de donner vie à une pousse, une graine.
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Sâman est considéré comme un chant védique venu de l'Inde
La racine šaman, aman, man, mana souligne toute l'universalité du lien au divin, à l'élévation, à un service supérieur qui se dédie à la communauté. Les mots renvoient au principe invisible d'une « énergie de guérison » qui porte différents noms comme le Qi/Ch’i (Chine/Japon), les cinq souffles d’apāna, prāna, samāna, vyāna et udāna (Inde), le nyiama (Dogons), le önd (mythologie nordique), le ka (Égypte), le tonalli (Mexique), le newen (Mapuches), le Mana (Maorie), le hijmor (Mongols), le niga (Panama), le ma’na (sens dans le Coran), la racine spiritus (Ancien Testament)… En France, cette énergie vitale était nommée « Pneuma » dont l’équivalent populaire serait la représentation de la potion d’Astérix qui apporte une puissance mystérieuse. Dans la tradition, le Pneuma est un souffle ou esprit aérien à l’origine de la vie, mais aussi des maladies pour les médecins de l’Antiquité.
Ces mots de l'invisible renvoient à un lien, une pratique, une posture qui fait du chamanisme à la fois un outil, une croyance voire une foi et une approche de la vie.
Le chamanisme est une énergie universelle,
celle qui détient le secret du voyage intérieur
Chamane dans notre monde de preuves
Comment devient-on chamane ? Peut-on prétendre que nous sommes tous chamanes ? Peut-on prétendre à l’existence d’un chamanisme aujourd’hui ? Ces pratiques anciennes consistaient à organiser le temps de la communauté et de l’individu en direction du divin. Cet héritage est issu de connaissances empiriques, de pratiques tribales et communautaires qui apportaient un sens commun dans un espace-temps très différent du nôtre.
Ces pratiques sacrées et ancestrales ont été transmises, codées et au cœur de l’organisation sociale pendant des millénaires. Aujourd’hui, elles sont relayées à l’ordre du folklore que symbolise l’habit du chamane. Ce vêtement traditionnel vibre le costume qui affiche l’aperçu d’une pratique qui à mon sens, a été perdue… Et ce n’est pas une mauvaise nouvelle. Face à la science qui demande des preuves, des données, de la rationalité, le chamanisme peut apporter sa sacralité tel qu’il est… En affirmant la science d’une connaissance qui doit rester invisible, mystique et insaisissable, le chamanisme nous aide à lâcher la preuve, la science, la vérité absolue pour ouvrir à l’humilité de notre conscience qui sait finalement, très peu de choses.
Le chamanisme nous enseigne la part perpétuelle de notre mystère et de l’énigme de la vie. Chercher un chamanisme ancestral est tout aussi illusoire que chercher un chamanisme de la preuve. Le chamanisme est une approche qui a toute sa place dans l’organisation de notre société si elle est respectée pour son enseignement invisible, illisible et intangible.
Je suis persuadée que nous évoluons et que notre approche au divin, le chamanisme, l’invisible évolue avec nous. Ces quelques chapitres participent à cette modernité du lien à l’invisible autour des concepts probablement (que j’ai tant décrié pendant mon apprentissage), et autour d’une intuition qui participe à construire le socle commun de nos énergies, notre unité et notre communauté… Qui sait combien ces mots écrivent le mysticisme inatteignable de leur objet. Voilà peut-être la problématique cherchée en introduction et discours d’une méthode qui est, qui pense, qui sait qu’elle ne sait rien. En quoi peut-on écrire le chamanisme quand celui-ci est un chemin initiatique, personnel et invisible ?
On me demande souvent s’il y a un chemin à suivre, une sorte du protocole du chamane qui servirait de boussole pour mieux accepter ses propres capacités hypersensibles. Ce questionnement est renforcé par le besoin de preuves scientifiques ou la peur que génère les capacités dont les noms de capacités paranormales, spirites ou ésotériques peuvent déranger. Je peux comme de nombreux chamanes, médiums, gourous... écrire, transmettre, partager sur le chamanisme dans notre modernité.
Tout ce que je proposerai ne sera qu'une pierre, peut-être une lumière qui guide ou une étincelle qui réveille, dans tous les cas, ces mots ne seront que de passage. Ils sont comme le chante si bien Fairuz, des mots écrits à l'eau dont seule l'émotion compte. Pour autant, ils sont des mots de vérité tout autant que d'autres formes de vérité existants dans notre monde et apportant ce semblant de connaissance que nous cherchons toujours sans jamais vraiment l'atteindre... Et c'est peut-être ça aussi, l'essence même du chamanisme d'aujourd'hui.
Le Pouvoir du Mana évoque quelques outils que l'approche spirituelle maorie propose. J'y transmets quelques éléments de mon apprentissage de chamane, médium, être qui a appris un chemin de spiritualité.
Le Chamanisme de l'eau et Eleven steps to know yourself with water proposent une approche du chamanisme par étape autour du cycle de l'eau.
A bientôt pour un nouvel ouvrage sur le chamanisme contemporain.