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Forêt

L'appel de l'air

Dans les bois du Québec, il existe un nectar

Doux comme un miel ambré, sucré et adorable ;

Au cœur d'un grand feuillu, il coule en eau d’érable

Argentée et riche en saveur telle une star.

 

Ce polar de table, devenu la starlette

De la gastronomie, est digne d’un Oscar

Pour un maître gourmet délectant son assiette.

Joignons tubulures et fourneaux en accord

 

Pour ce saint onctueux, cet apôtre du Nord.

Buvons cette eau sylvestre et gare à la disette.

Le Saint sirop d'érable,

Claudel

Une sucette en sirop d'érable

Mary poussa la lourde porte de bois du chalet, les bras remplis des courses avec une surprise pour sa petite-fille. Elle était tellement contente d’avoir trouvé le sirop d’érable qu’elle posa les sacs sur la table et se précipita dans le salon pour trouver sa jeune Laura, emmitouflée dans une couverture, absorbée par de la lecture. Elle était tellement plongée dans son livre qu’elle n’avait pas levé la tête à l’arrivée de sa grand-mère.

— Ma chérie, je suis rentrée. Laura eut un mouvement de surprise.

 

Dès qu’elle vit Mary, elle referma le livre en rougissant. Elle le cacha maladroitement derrière son dos mais elle savait qu’il était trop tard. — Je sens, mademoiselle, que vous lisez des choses qui ne vous regardent pas !

 

Laura rougit. Elle fit oui de la tête et tendit le livre à sa grand-mère, toute honteuse d’avoir essayé de le cacher. Mary prit le livre sans rien montrer à sa petite-fille.

— Viens, j’ai acheté du sirop d’érable. Allons faire des sucettes pour ce soir.

 

Laura ne se fit pas prier et, quelques instants après, elles assistaient en riant au spectacle magique du liquide sucré se changeant en sucette au contact de la neige gelée. Le soir, après dîner, elles se blottirent l’une contre l’autre devant le feu de cheminée. Comme chaque soir, Mary lisait le passage d’un livre choisi par sa petite-fille. Ce soir-là, Mary arriva avec un livre, en annonçant à Laura qu’elle avait choisi la lecture. Laura obtempéra sans protester. Ce qu’elle aimait, c’était la façon dont lisait sa grand-mère, l’histoire avait peu d’importance. Elle se colla contre la peau douce de sa mamie et attendit qu’elle débutât la lecture.

 

Mary ouvrit le livre, que Laura reconnut immédiatement. C’était le journal qu’elle avait trouvé l’après-midi, caché derrière des vieux livres de la biblio thèque. Elle ne dit rien, observant l’air malicieux et heureux de sa grand-mère.

« Les rivières des poèmes sont-elles vraies ?

Avancent-elles et tournent-elles dans les roches, mélangées aux sacs plastiques,

aux effluents, aux débris des habits ramassant des pétales de rose dans leur course ?

Viennent-elles des montagnes pour alimenter les villes, les champs de coton,

circulant d’une rive à l’autre, nourries par la neige ?

Dis-moi, les rivières de tes poèmes, sont-elles vraies ? *»

 

Mary s’arrêta, envahie par l’émotion et les souvenirs. Laura quant à elle, fixait les flammes.

— Elles sont vraies, ces rivières, non, mamie ? Je veux dire… elles viennent vraiment des montagnes, les rivières ? Mary acquiesça et sourit à sa petite-fille.

— Oui. Ce passage raconte le cycle naturel de l’eau qui part des montagnes, des rivières, pour arriver jusqu’à nous, dans les villes. La neige, qui fond quand elle tombe, remplit les rivières et infiltre les sols, perpétuant le cycle de l’eau à travers l’espace et le temps. 144 145 — Est-ce que c’est vrai qu’il y a aussi des rivières sous la terre ?

— Oui. C’est ce qu’on appelle des nappes. Des nappes phréatiques.

— Et cette eau, elle retourne à la mer ?

— Pas toujours. Comme le dit le poème, l’eau peut servir aux hommes, aux agriculteurs… Elle part jusqu’aux lacs, s’évapore, elle retourne aux montagnes… Tu sais, nous avons de la chance de pouvoir boire une eau venue des montagnes qui est sans danger pour la santé… Ce n’est pas le cas de tout le monde.

 

Laura avait compris. Sa grand-mère était songeuse, elle était comme transportée dans les montagnes.

— Dis, mamie, lui demanda doucement la fillette, qui a écrit ce poème ? Mary sourit en voyant la timidité de sa petite-fille dépassée par la curiosité. Elle l’embrassa chaudement sur le front.

— Il s’appelait Kevin. C’était mon fiancé… C’était avant que je ne connaisse ton grand-père. Il adorait écrire. Ses mots coulaient à flots et il m’inindait de poèmes. Je l’ai mais bien. Puis il a eu une bourse pour étudier à Paris. Il est parti et j’ai rencontré ton grand-père. J’ai rompu nos fiançailles et je n’ai plus entendu parler de lui pendant plus de trente ans.

— Tu lui as brisé le cœur, alors ?

— Non ! Non… Il aimait trop écrire pour penser à se marier. Il est devenu écrivain et réalisateur. Il a dédié sa vie à l’eau. Il voulait faire prendre conscience de l’importance de la préserver…

— Et tu l’as revu ?

— Oui. Il n’y a pas si longtemps, d’ailleurs. Il m’a demandé de lui raconter une histoire sur les Grands Lacs pour un reportage qu’il faisait… Mary eut une expression mélancolique, qui n’échappa pas à sa petite fille.

— J’aurai dû lui raconter comment ma petite-fille a compris le cycle de l’eau grâce à son poème ! Elle pinça gentiment Laura qui éclata de rire. Elles restèrent un instant toutes deux silencieuses.

— Mamie ?

— Oui, ma chérie.

— Tu crois que je devrais lui écrire pour lui raconter ?

 

Ce soir-là, ce fut au tour de Laura de raconter une histoire. Elle avait le goût de sa sucette d’érable. Piquante, sucrée, puis fondant sous la langue comme pour livrer la poésie de l’eau, magique et inattendue.

* Poème traduit de l’anglais,

“Are the rivers in your poems real?” de Moez Surani, une rencontre exceptionnelle, un compagnon de cigare et de whisky, un auteur de talent : Are the rivers in your poems real? Do they eddy and whirl concaves into rocks, mingle with plastic bags, effluents, pieces of cloth, rose petals in their rush? Do they originate from specific hills, f low to cities, fields of cotton, wearing away one bank then another and fed by certain snow?

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4. Le Coeur ErableArtist Name
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Méditation-Voyage

Douceur de l'air, l'air d'un temps

Dans le mystère de la fumée chante les mémoires de ton ancêtre. Une peau ridée, un visage abondant, un regard profond. Elle vient à toi dotée de la sagesse de la vie et de la mort. Elle connait les animaux de la forêt, son esprit fréquente leur quotidien. Elle voit leurs peurs, leurs luttes, leur simplicité. Elle vient à toi dotée de la rigueur de l'être. 

Tu as de la chance, et tu l'ignores.

Tu es béni, et tu l'ignores.

Tu es en vie. Le monde t'entoure de ses miracles, les vois-tu ? Remercies tu cette vie qui souffle dans tes poumons ? Vénères tu la mémoire de celles et ceux qui sont venus sur cette Terre avant toi ? 

Je suis la gardienne de l'équilibre et je vois ta vulnérabilité, je connais ton ombre, je sais tes doutes.

Prends donc le bâton de la paix et fume ton illusion pour les dissoudre dans l'air de la stérilité de tes doutes et de tes peurs.

Tu es plus grand que toi-même.

Tu es plus fort que ton être.

Tu es plus aimant que ton cœur.

Offre ton terre sur Terre pour aimer, préserver et te battre pour l'air qui vit dans les poumons de chacun d'entre nous.

Sois l'air, sois le temps, sois homme et sois fier. 

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